La collection Manifeste s’articule autour d’une personnalité qui s’engage pour une valeur et qui réunit ceux ayant influencé son travail ou l’ayant marqué. Ici, Bartabas signe les premiers textes de ce livre et convie d’autres artistes à parler de leur travail. Certains se sont prêtés au jeu de l’interview, d’autres ont écrit un texte et c’est à travers des croquis que Bartabas évoque Pina Bausch, comparée à un pur-sang. Un recueil riche de rencontres et joliment illustré.
Qui ne connaît pas Bartabas, fondateur du Théâtre équestre Zingaro ? Cavalier hors du commun, homme atypique assez intimidant pour qui le rencontre car être capable de parler aux chevaux et se faire obéir en parvenant à les faire marcher à reculons, est pour le moins impressionnant. L’homme cependant est modeste et entièrement voué à son art ; une passion vécue au quotidien avec ses chevaux. Pas question de prendre des vacances ! Les chevaux ont besoin de soin et d’être nourris tous les jours. « Inventer une forme de spectacle comme la nôtre, un théâtre équestre, suppose d’abord accepter la vie nomade, ses libertés et ses contraintes, la liberté qui en est l’essence mais aussi l’inconfort. » Précisément, le paradoxe qui nourrit la vie de ces différents artistes invités dans ce livre est que « La liberté de l’artiste est nichée au fond de ses propres contraintes. » On est loin de cette perception complaisante d’un artiste éthéré qui mène une vie oisive et facile. Tous, dans ce livre, témoignent de l’exigence et de l’engagement que nécessite leur art - quel que soit le matériau qu’ils ont choisi de travailler - et les contraintes que le matériau dicte fait d’eux des artistes. Assister à un spectacle du Théâtre Zingaro est une expérience toujours unique. Les chevaux y exécutent des performances exceptionnelles. Pour parvenir à ce dressage, comme l’écrit Bartabas, ce n’est pas en faisant acquérir des automatismes au cheval, « c’est d’abord se construire avec lui un vocabulaire commun, puis une grammaire commune, puis, s’il le veut bien, finir par dire des poèmes ensemble. »
Fondamentalement, Bartabas s’inscrit en marge de cette société du profit qu’il exècre. Plus qu’une philosophie de vie, l’aventure théâtrale à laquelle il consacre sa vie est un acte politique : « Elle échappe à la loi du profit. Aucune récupération par telle ou telle puissance de l’argent n’est envisageable pour la simple raison qu’elle n’en génère pas beaucoup. Quel que soit son retentissement public et médiatique, elle est, par nature, limitée par l’échange non reproductible, ici et maintenant, entre artistes et spectateurs. »
Les invités de Bartabas sont des « faiseurs d’éphémères », qu’ils soient pianiste concertiste comme Alexandre Tharaud, cuisinier comme Alain Passard qui a refusé – fort de son succès – la proposition de multiplier son restaurant dans les grandes capitales de la planète, colleur d’images sur les façades des maisons des quartiers du monde entier, comme Ernest Pignon-Ernest – images effacées par le soleil et la pluie, fugaces et inscrites dans l’éternité. Témoignent aussi un jongleur, un danseur, le réalisateur Alain Cavalier, un jockey, un torero en la personnalité de Luis Francisco Espla. Chacun raconte sa passion. Ce livre se lit avec beaucoup d’intérêt et nous laisse mesurer à quel point la vie d’artiste demande du travail et de l’abnégation, tristesse et joie mêlée et Bartabas encore d’écrire : « Toute cette énergie, cette sueur, ces combats, cet engagement n’auraient aucune valeur, ne seraient aucunement admirables en soi s’ils ne trouvaient leur raison d’être dans la beauté du geste, du geste d’une vie, ou peut-être d’un seul geste travaillé tous les jours, sans répit, avec les autres pour essayer d’atteindre, à force de répétitions et de discipline, ce qu’on pourrait appeler la grâce. »