Plus tard, elles diraient avoir vécu une période merveilleuse. Elles avaient l’insouciance de leur jeunesse et c’était les années folles. Maurice Chevalier chantait : « Elle s’était fait couper les cheveux », à l’heure où les Parisiennes dansaient le charleston. En province, les femmes rêvaient avec L’Illustration.
Fernande refusa d’ôter son chapeau lorsqu’un soir elle revint de son travail. Elle l’avait toujours sur la tête au moment du dîner. Sa mère, la Marie, n’a pas supporté ce caprice et lorsque Fernande leur apparut avec sa coupe à la garçonne, cela fit un beau scandale…
Cette admiratrice de Rudolf Valentino fut séduite dès qu’elle le vit, par ce jeune homme aux cheveux noirs et à la belle prestance. Il travaillait aux chemins de fer, dans les bureaux.
Il venait déjeuner tous les jours dans un restaurant que tenait un oncle de Fernande. Cet oncle avait adopté une fillette qui avait désormais le même âge que Fernande. Avec Lottie, elles étaient les meilleures amies du monde. Elles étaient aussi fantaisistes et drôles l’une que l’autre. Lottie aidait son oncle et Fernande passait du temps au restaurant.
Un an après, la guerre était déclarée avec l’Allemagne. François avait réussi, avec la complicité d’un médecin, à échapper à l’incorporation de force dans l’armée. Il avait un goitre très prononcé. Son ami médecin lui donna des médicaments qui le mirent dans un état fébrile impressionnant, avec un pouls bien plus rapide que la normale. On l’affecta dans les bureaux, aux chemins de fer de Kehl.
Avec Marlyse sous le bras, Fernande partit à Bordeaux, comme de nombreux Alsaciens fuyant l’occupation allemande. Fernande parlait souvent de sa petite gamine fatiguée qui s’arrêtait en chemin, boudeuse, au bord des larmes, et qui disait : « Mimine ne marche plus ! ».
Nous avions un singe apprivoisé. Il nous accompagnait partout. Le matin, par exemple, il nous a souvent mangé notre petit déjeuner. Il nous attirait à l’extérieur en poussant des cris. Il passait par la fenêtre de la cuisine et lorsqu’on rentrait, nos céréales et nos fruits avaient disparu. Nos peluches étaient vivantes.
Bienheureuse enfance passée dans ce monde enchanteur où l’homme est encore si près de la nature !
Mais j’avais aussi des jouets de petits blancs comme une voiture à pédales. C’était un vrai luxe et j’étais le roi du village pour mes camarades. J’étais trop petit pour aller à l’école. Elle se situait près de la maison. Souvent, j’allais klaxonner sous les fenêtres de la classe et les gamins sortaient jouer avec moi. L’instituteur était assez fâché.