Décidément, les romans de Stephen Mc Cauley sont une source d’inspiration pour le cinéma ! L’objet de mon affection a été adapté aux États-Unis par Nicholas Hytner avec Jennifer Aniston (1998). La vérité ou presque a été réalisé par Sam Karmann en 2007, sous l’impulsion d’Agnès Jaoui en tant que productrice. Coup de foudre également pour L’Art de la fugue paru en 1992 au scénario duquel elle a participé comme consultante pour Brice Cauvin et Raphaëlle Desplechin. Les éditions BakerStreet ont eu la bonne idée de re-éditer le livre de Stephen Mc Cauley en même temps que le film sort sur nos écrans.
Le livre est agrémenté d’un cahier de photos du tournage du film et s’ouvre sur une conversation entre Stephen Mc Cauley et Agnès Jaoui, offrant un joli prolongement à ceux qui ont vu le film ou une introduction à ceux qui préfèreraient lire le livre avant de voir le film. Les deux démarches sont valables. Du fait que de nombreux dialogues sont repris, les lire ou les entendre une seconde fois procure une jubilation tant ils font mouche. Car Stephen Mc Cauley a le sens de la répartie et de l’humour, une causticité réjouissante et un art des situations drôles voire inattendues.
Le plaisir que procure le film tient beaucoup au choix des comédiens venus d’horizons différents et formant cependant une famille très crédible. Trois frères sont en proie à des affres sentimentales et cherchent à se dérober devant la réalité, tout en devant composer avec les décisions que leurs parents veulent prendre à leur place. Les parents tiennent un magasin de vêtements pour hommes très ringard et poussiéreux et sont idéalement joués par Marie-Christine Barrault et Guy Marchand. L’histoire est racontée du point de vue d’Antoine (Laurent Lafitte) qui vit en couple avec Adar (Bruno Putzulu) mais qui rêve d’Alexis. Louis (Nicolas Bedos) doit épouser Julie mais tombe amoureux de Mathilde. Gérard (Benjamin Biolay) est au 36e dessous car sa femme Hélène demande le divorce et il pense que jamais plus il n’aimera une autre femme. Quant à Ariel, jouée par Agnès Jaoui, elle est célibataire et travaille avec Antoine. Elle est sa meilleure amie. Comme dans le livre, ce personnage est particulièrement attachant par sa liberté d’être, son franc parler et sa fantaisie.
L’Art de la fugue est un film choral, raconté à la première personne, et le talent de Brice Cauvin est d’avoir su accorder sa place à chaque personnage. Même Julie, qui apparaît très peu, existe – peut-être aussi parce qu’il est difficile de ne pas tomber sous le charme d’Élodie Frégé qui fait là ses premiers pas au cinéma. Même l’amant d’Alexis qui n’a qu’une scène, dans le rôle d’un comédien avant-gardiste, maniéré et nombriliste, est désopilant. Le film est à la hauteur du livre cependant que des aménagements ont été réalisés pour déplacer l’histoire qui date d’une vingtaine d’années de nos jours, et de Boston à Paris. Ce qui faisait trop américain a été revu et Antoine et Ariel travaillent dans une agence de communication liée à la culture, alors que leurs homologues littéraires, Patrick et Sharon, travaillent dans une agence de voyage. Signe des temps, les voyageurs achètent désormais leur billet en ligne. Il a fallu leur inventer une autre profession et Brice Cauvin dénonce sur le mode de la comédie, la récupération de la culture par le merchandising à tous crins. Sous la légèreté et le divertissement, chacun peut reconnaître ses propres petites lâchetés, la façon de mettre un couvercle sur ce qui ne va pas et s’identifier à l’un ou l’autre personnage. Finalement, sous la désinvolture se cache une certaine mélancolie constructive qui fait de l’Art de la fugue un film et un livre hautement recommandables.