La presse a beaucoup parlé de la cavale de Xavier Fortin (Philippe Fournier dans le film) avec ses deux fils, qui dura de 1997 à 2008. Comment, dans un pays comme le nôtre, avec sa police organisée, un homme avec deux enfants ont-ils pu disparaître pendant onze ans ? Cédric Kahn s’est intéressé à ce fait divers et il a proposé le rôle du père à Mathieu Kassowitz qui campe mieux que nature cet homme à la personnalité atypique, défenseur d’un modèle de vie envers et contre tout système établi.
Mathieu Kassowitz semble habité par le personnage de Paco, alias Philippe Fournier. Il l’incarne grâce à un travail physique remarquable pour rendre réalistes les passages où il se déplace dans la nature ou bien lorsqu’il porte à bout de bras des cages pleines de canards. Au-delà du travail de comédien, pour la dynamique du film, il fallait rendre crédible sa marche dans les forêts ou dans la campagne, une manière d’habiter l’espace. La vie hors système est ce que défend son personnage. De fait, il soustrait ses enfants à leur mère car elle ne veut plus de leur vie de marginaux. Les enfants sont en âge d’aller à l’école, elle ne veut plus vivre en caravane, avec les pieds dans la boue souillée par les déchets de leur élevage de canards. Elle veut un toit sur la tête, une maison. Or, Paco exècre ce mode de vie « bourgeois » avec la pensée étriquée qui en est le corollaire. Jusqu’au-boutiste, Paco souhaite le meilleur mode de vie possible à ses propres enfants et c’est celui auquel il croit. Il leur fait lui-même l’école et les éduque dans l’esprit de cette chère liberté qu’il défend à tout prix, au risque d’être hors la loi. Se plongeant dans le livre de Xavier Fortin et de ses fils, ainsi que dans le livre témoignage de leur mère, Cédric Kahn a trouvé tous les ingrédients pour un film qui mêle le mélodrame familial à l’aventure, au sein et en osmose avec la nature.
Aussi, le film est-il structuré sur deux périodes. La première relate les deux premières années de cavale et la seconde, la dernière année. Au début, les enfants ont 6 et 7 ans et voient leur père comme un héros. Ils mènent leur vie comme on la rêve dans les jeux d’enfants. Ils se prennent pour des Robinson Crusoé, capables de se débrouiller en pleine nature, d’affronter les éléments, de pêcher avec les moyens du bord. Ils vont intégrer des camps de marginaux qui vivent dans des tipis ou encore vont se cacher dans des fermes où leur père travaille comme saisonnier. Si pour les enfants, il est amusant de mentir, de changer de nom et de se laisser pousser les cheveux pour ressembler à des Indiens, d’être des nomades, la réalité est qu’ils sont traqués par la police. Et pendant toutes ces années où ils grandissent et deviennent des adolescents, ils parviennent à échapper aux autorités. Mais le temps est venu de la rébellion et celui des premières amours compromises à cause de cette vie hors norme. Okyesa et Tsali sont devenus des jeunes hommes qui vivent mal leur marginalité imposée par leur père et ils lui font des reproches qu’il a du mal à comprendre et à admettre. C’est la fin de la cavale. Pendant tout ce temps, leur mère n’a eu cesse de les chercher et en quelques rares scènes, Céline Sallette dans le rôle — une comédienne décidément très douée — impose un jeu d’une intensité à la mesure de la tragédie qui se noue. Elle retrouve ses enfants mais le lien est définitivement brisé après onze ans de séparation. Si Cédric Kahn a tenu le pari de ne pas prendre parti pour le père ou la mère, et de se tenir du côté des enfants, les dernières scènes avec leur mère montre la pleine mesure de tout cet amour gâché, perdu.
Vie sauvage est un film dont la force de la réalisation est à la hauteur de celle de cette histoire magistralement interprétée par tous les acteurs – mention spéciale pour les quatre garçons qui n’avaient jamais joué (les deux fils enfants puis adolescents), et qui sont tout à fait à la hauteur du talent de Mathieu Kassowitz et de Céline Sallette.