Critiques de films

Le Président
un film de Mohsen Makhmalbaf

Cela faisait près de dix ans que ce cinéaste iranien n’avait pas réalisé de film, engagé dans la lutte pour l’enseignement, la santé et la culture en Afghanistan et en Iran. Pour cet humaniste, point de salut sans l’éducation qui est un tremplin vers la démocratie. Son constat de l’échec des révolutions qui ont agité les pays du Moyen-Orient et plus près de nous la Tunisie, depuis le printemps arabe, l’a conduit à tourner Le Président. Il espère qu’il sera vu dans ces pays, du moins sur Internet à défaut d’être diffusé en salle, et qu’il conduira à éveiller les consciences.

Image du film Le Président
© BAC FILMS DISTRIBUTION

Pré-générique du Président, un vieil homme en tenue militaire, en compagnie de son petit-fils de cinq ans, donne l’ordre de la plonger dans le noir ou bien d’allumer les lumières de la ville qui s’étend sous leurs yeux… sur un simple coup de fil. La scène fait froid dans le dos et campe la figure toute puissante d’un dictateur. Mohsen Makhmalbaf a eu l’idée de cette séquence inaugurale, il y a huit ans, dans les décombres du Palais Darulaman, en surplomb de la ville de Kaboul. Or, au bout d’un énième coup de fil, les lumières de la ville ne se rallument plus et seuls apparaissent dans le lointain des feux de tirs et d’explosions. L’économie de moyens et le raccourci narratif sont admirables pour évoquer le coup d’état et annoncer la chute du dictateur. Le film progresse ensuite avec cette même rigueur narrative et stylistique et nous plonge dans le chaos de la révolution qui se joue armes aux poings dans les rues de cette ville dans laquelle circule la voiture du président, conduisant les membres de sa famille vers l’aéroport. Parmi eux, grotesque, pitoyable et archétypale, une femme blonde décolorée, dans ses Louboutins et col de fourrure exprime toute sa haine à ce vieillard omnipotent, responsable de sa fin de vie de princesse. Finalement, le dictateur ne prendra pas l’avion pour l’étranger et gardera son petit-fils avec lui. Les voilà en cavale à travers le pays avec pour objectif d’atteindre la mer.

Filmé à hauteur de l’enfant, le film progresse sur des flashs-back évoquant la vie du petit-fils du dictateur, dans le palais où il avait un goûteur pour ses repas, un maître de ballet, tandis que Maria, une petite fille de son âge, était sa poupée vivante, asservie à danser dans son tutu rose. Le dictateur est l’adulte que l’enfant aurait pu devenir si la révolution n’avait pas éclaté et l’enfant incarne ce que le dictateur a été, enfant gâté, éduqué hors la vie et n’ayant jamais fait lui-même sa propre toilette. Le contraste est frappant entre le luxe du palais et la misère autour. À mesure de leur avancée à travers le pays, déguisés en pauvres artistes ambulants, lui jouant de la guitare, le petit garçon habillé en fille, ils rencontrent un peuple dévasté, en colère contre ce dictateur coupable de tortures et d’abus de pouvoir. Un passage chez une prostituée qu’il a connue, qui s’appelle également Maria, donne la pleine mesure de l’abjection qui se joue. La violence est omnisciente et ne s’exerce pas seulement contre le dictateur.

Mohsen Makhmalbaf a lui-même fait de la prison en Iran, comme révolutionnaire et dissident politique. Et son constat est amer. Toutes les révolutions qui se sont succédées se sont opérées de la même manière avec un paramètre économique commun, celui de la pauvreté. Lorsque les gens ont faim et n’ont pas de reconnaissance sur le plan politique, difficile de leur demander d’être raisonnables. La violence conduit à la violence et à la vengeance en un cercle vicieux que seul un travail de fond, peut-être, pourrait endiguer. Mohsen Makhmalbaf croit dans la culture et l’éducation. Avec son film dont l’histoire pourrait se passer n’importe où et à une époque indéterminée, il signe une œuvre édifiante, à dimension universelle, avec un souffle narratif et une maîtrise formelle admirable.

Retour à l’accueil
— Qui suis-je ?
— Questions réponses
— Biographie, mode d’emploi
— Un biographe à votre écoute
(les bienfaits de l'autobiographie)
— Écrivain public ?
— Autres prestations
— Extraits (autorisés)
— Ce qu’ils en ont dit
— Publications d’Elsa Nagel
et revue de presse
— Mes coups de cœur
— Critiques de livres
— Critiques de films
Adresses et liens