Le cinéma est l’art des possibles. Le prologue donne la clef de lecture du film. Un buffle dans la campagne serait une incarnation d’Oncle Boonmee. Le cinéma de Weerasethakul joue sur les strates du temps, mêlant le passé et le présent, et il joue sur le conditionnement du spectateur qui doit, dès lors, admettre que les êtres animés qui peuplent ce film sont des incarnations possibles d’Oncle Boonmee. Lui-même accepte que son fils disparu revienne vers lui sous l’aspect d’un singe aux yeux rouges qu’il est devenu, après s’être accouplé avec une femelle de cette étrange espèce.
En vertu de cette croyance primitive qui veut que ce que l’on voit existe, l’apparition d’un fantôme n’étonne pas le spectateur qui admet comme « vraie » la présence de l’épouse défunte. Ce film s’inscrit dans la tradition du fantastique au cinéma. De manière objective, fantôme et être surnaturel apparaissent, tandis que l’on peut se demander si l’on n’épouse pas la « vision » toute subjective d’Oncle Boonmee à l’agonie, vivant ses derniers moments. Aussi, se souvient-il de ce conte qui soudain se développe devant nos yeux ; celui d’une princesse qui regrette sa jeunesse et sa beauté passée. Elle fait une halte à une cascade sacrée. Elle s’y baigne et elle est séduite par un poisson-chat doué de parole. Séquence splendide de poésie, véritable conte d’une rencontre improbable érotique que le cinéma rend possible. Cette digression vaut, à elle seule, de voir ce film atypique. La fin également est étonnante. Elle rend visible le dédoublement de personnages, présents dans deux espaces différents. Mais est-ce si extraordinaire ? Comme le dit le réalisateur : « Généralement, face à un film, vous suivez juste un courant temporel, alors que dans la vie, ceux-ci se mêlent. Par exemple vous partez à pied au marché, acheter des légumes puis vous vous mettez à penser à votre ami(e), d’autres choses vous viennent à l’esprit. Mes films évoquent la possibilité, induite par le montage, d’une cœxistence de différents événements dans le temps. »
Cependant, le film ouvre aussi sur la question d’une harmonie perdue entre le passé et le présent. Une séquence avec une bande de jeunes violents donne le ton et ancre le film dans un espace bien réel. La nostalgie d’une culture qui se perd est bien le sujet de ce film. Oncle Boonmee… ou le cinéma retrouvé, et avec lui la Thaïlande comme l’aime Apichatpong Weerasethakul.