Écrivain marocain, Fouad Laraoui, vit à Amsterdam où il est enseignant de littérature à l’université. Il est l’auteur de livres incisifs sur le Maroc avec des titres frappants comme Les dents du topographe ou Tu n’as rien compris à Hassan II. La plupart de ses romans sont parus aux éditions Julliard. Avec Une année chez les Français, comparé très justement au Petit Chose et au Petit Nicolas, Fouad Laraoui a signé un roman souvent désopilant et qui est une déclaration d’amour à la langue française.
À la fin des années 60, le Maroc n’est plus sous protectorat français mais le fameux Lycée Lyautey de Casablanca reste le fief de la mission culturelle française. Parce qu’il est un excellent élève, le petit Mehdi a été accepté en 6e dans ce lycée, grâce à son directeur d’école qui lui a obtenu une bourse. La famille de Mehdi habite Béni-Mellal. Il sera donc interne au lycée. Pendant un an, Mehdi découvre une autre façon de vivre, de manger, auprès de pions, de professeurs et d’élèves issus d’un milieu tout différent du sien. Et la langue française qu’il pensait à peu près maîtriser, voilà qu’elle lui réserve des tours… entre argot et expressions imagées… ! L’enfant essaye de décoder ce monde nouveau qui s’offre à lui et souvent le burlesque s’en mêle.
C’est toute la saveur de ce roman qui ne se prend pas au sérieux alors que par petites touches, c’est aussi l’état du monde, à ce moment-là, qui est évoqué : de Gaulle, les premiers pas de l’homme sur la lune, le communisme. Souvent, Mehdi trouve une échappatoire dans les rêves dont l’évocation s’inscrit dans le récit, sans truchements. Ainsi sommes-nous dans la tête de Mehdi qui pense souvent avec grande sagesse et qui fait preuve d’érudition alors qu’il est souvent incapable de prononcer deux mots, paralysé par la timidité. Et il s’entend affabuler à voix haute en disant que son père est japonais. Le livre rebondit sur des malentendus cocasses et met en évidence le clivage entre les deux sociétés, marocaines traditionnelle et française. Un mariage dans la famille de Mehdi dégénère en une bagarre générale et lorsque la maman de Denis Berger, ce petit copain chez qui Mehdi passe tous ses week-ends et où il découvre Mozart, lui demande comment s’est passé ce mariage, il répond du bout des lèvres : « C’était très bien ». Que pourrait-il dire d’autre ? « Il eut l’impression que c’était un autre monde, un monde de vacarme où tout menaçait à chaque instant de se disloquer, très loin des phrases bien faites, de la Petite musique de nuit et de l’odeur d’encaustique. Mme Berger ne comprendrait pas. »
Dans ce roman qui n’hésite pas à mêler la darija (l’arabe parlé) et des citations de La Fontaine, de la Comtesse de Ségur, de Racine c’est la langue qui est à la fête. Mehdi ressent un plaisir jubilatoire à dire les mots qu’il a retenus de ses lectures, si abstraits et qui trouvent enfin un écho signifiant dans ce monde des Français qu’il découvre. Et nous-mêmes, de redécouvrir et d’apprécier la richesse de cette langue française, expressive et gouleyante, qui s’appauvrit malheureusement chaque jour.