Le parcours atypique de cet auteur est en soi un roman. Après avoir travaillé toute sa vie dans une usine de pâte à papier, il a commencé à écrire vers 50 ans. Et c’est la naissance d’un grand écrivain, un génie littéraire qui s’est révélé. Une mort qui en vaut la peine est son deuxième roman après Le Diable, tout le temps qui fut couronné par de nombreux prix, figurant parmi les meilleurs livres de l’année 2011.
Donald Ray Pollock ne se verrait pas écrire sur une autre contrée que l’Ohio, le berceau de son enfance où il réside encore aujourd’hui. Il connait si bien cette région. Son premier roman se passait entre l’Ohio et la Virginie-Occidentale, de 1945 à 1965. Dans son nouveau roman, nous sommes en 1917, entre la Géorgie et l’Alabama où vit dans une pauvreté extrême la famille Jewett, un veuf et ses fils. À la mort de Pearl Jewett, ses trois fils vont se rendre du côté de Meade où un cantonnement militaire s’est installé en vue du recrutement et du départ des soldats pour l’Europe où sévit la Grande Guerre. Mais s’enrôler n’est pas dans leurs projets. Les trois frères deviennent des braqueurs de banque, des hors la loi légendaires et leur tête est mise à prix. Cependant, plus pieds-nickelés à l’américaine que véritables terreurs, ils vont vivre les aventures les plus improbables en s’identifiant à Bloody Bill, le héros d’un roman de gare que leur frère aîné leur a lu et relu. Ce livre a façonné leur vision du monde mais la réalité est toute autre. Difficile de résumer ce roman tant il foisonne de personnages et de situations. Pas une page inutile, pas de moment creux. Rien de banal n’est raconté. Tout est inventif et stimulant pour l’imagination, avec une bonne dose d’humour noir. L’auteur ne laisse pas de répit au lecteur embarqué dans un roman ébouriffant qui fait un portrait grinçant de l’Amérique.
Donald Ray Pollock voulait tout d’abord écrire sur ce camp militaire, s’étant toujours intéressé à l’Histoire. Aussi, des références à la guerre avec l’Allemagne émaillent le roman et témoignent des lectures qu’il a faites sur l’engagement des États-Unis dans la guerre. Finalement, cet aspect du roman reste au second plan car les frères Jewett se sont imposés à lui. À la question de la création de ses personnages, il répond qu’il n’est pas un écrivain organisé, avec un plan narratif préconçu. Il aime se laisser surprendre par la spontanéité avec laquelle le roman se crée et évolue. Ainsi, tous azimuts, entraînés dans une odyssée sauvage à cheval, les Jewett vont croiser des personnages hauts en couleur. Ce qui importe à l’auteur est de capter l’attention du lecteur avec une bonne histoire. En ce sens, il est friand de séries américaines comme Mad Men ou Breaking Bad. Le 7e art lui a fait des propositions mais l’écriture d’un scénario ne l’intéresserait pas du tout. Il est vrai que Donald Ray Pollock a un style si riche qu’il s’ennuierait. Ses romans vont sans doute faire l’objet d’une adaptation. Mais il serait dommage de s’en satisfaire et de ne pas plonger dans la littérature de cet écrivain à la vocation tardive mais devenu déjà un grand parmi les grands auteurs nord-américains.