Pit Arganem, pseudonyme et anagramme de l’écrivain Martin Page, est l’auteur du roman éponyme qui a inspiré le film. « Sens-toi libre ! » a-t-il dit à Dominique Rocher, quand il a su que son roman serait adapté. Film mental, entre gore et fantastique, quasiment muet, réflexion sur la solitude et la misanthropie, La nuit a dévoré le monde est une belle expérience cinématographique et un coup de maître.
Premier long métrage de son auteur, il impressionne par sa sobriété et ses scènes qui vont à l’essentiel. Il joue avec le genre du film d’horreur, mais sans utiliser les codes attendus mis en œuvre d’habitude pour faire peur, alors que les zombies envahissent Paris… Ils hantent les appartements et sont d’une dangerosité extrême. Se faire mordre ou griffer par l’un d’entre eux a pour conséquence de devenir zombie soi-même. Un risque que Sam va devoir éviter, lui qui semble être le seul survivant de la catastrophe qui a précipité en une nuit le monde dans le chaos. Sam se réveille au matin d’une fête et tout est dévastation autour de lui. Du haut du bel immeuble cossu qu’il habite, il voit dans les rues de Paris, des hordes de zombies. Le voilà seul au monde, lui qui n’aime pas particulièrement ses congénères. Il va « faire avec », se débrouiller, collecter des provisions chez les voisins, jouer de la musique et entretenir une relation avec un zombie coincé dans l’ascenseur dont les grilles empêchent toute agression. Séquences drôles et cruelles qui valent le détour, avec Denis Lavant dans le rôle du mort vivant devenu le confident de Sam. Cependant, cet homme qui essaye de vivre « normalement » va comprendre peu à peu que la situation ne pourra durer. La question se pose et génère le suspens : peut-on vivre seul au monde indéfiniment ?
Film d’atmosphère, La nuit a dévoré le monde nous confronte à l’espace mental de Sam. Sa rencontre avec une jeune femme, rescapée comme lui de la catastrophe, incarnée par Golshifteh Farahani à l’aura si poétique, joue sur l’ambiguïté entre rêve et réalité. Le jeune homme est confronté à ses peurs, à ses démons et à cette petite voix de la conscience qui ouvre alors le film sur une dimension initiatique et héroïque. Joué par Anders Danielsen Lie dont l’accent norvégien accentue la dimension d’étrangeté du film, le personnage de Sam et le scénario sont nourris de la personnalité de ce comédien qui est également musicien. Les références à Seul au monde ou au Pianiste ne sont pas fortuites, ni aux Revenants dans son parti pris réaliste. Pas d’effets spéciaux impressionnants, les zombies ont bénéficié du maquillage à l’ancienne, évoluent dans le décor naturel d’un immeuble haussmannien et la vue sur les rues et les toits de Paris renforcent ce côté familier. Le fantastique qui surgit dans le réel, vécu par un homme qui agit comme si de rien n’était, fait de ce film une curiosité cinématographique et nous plonge dans un cauchemar éveillé d’où ne sont pas absents des moments burlesques surprenants. Le film joue ainsi sur un suspens sous haute tension ponctué par ces petits moments qui font lâcher prise et offre un moment intense de cinéma.