Il a rejoint le cercle très fermé des lauréats du Lion d’argent, à la Mostra de Venise 2017, comme meilleur réalisateur. Xavier Legrand y a également reçu le Lion du Futur qui récompense le meilleur premier film. Avec son court-métrage, Avant que de tout perdre, nommé aux Oscar en 2014, il avait déjà acquis la reconnaissance avec de très nombreux prix.
Jusqu’à la garde commence comme un documentaire de Depardon et évolue et s’achève par un film hautement angoissant. Shining de Kubrick est l’un des films qui ont habité le réalisateur pendant la fabrication de son film, ainsi que Kramer contre Kramer et La Nuit du Chasseur. Les tragédies grecques sont également une source d’inspiration. Étonnant premier film qui traite d’un sujet sociétal en « pur » cinéma. Quand on regarde Shining, on ne pense pas à la violence conjugale qui est aussi au cœur du film, avec Jusqu’à la garde, ce sujet, malheureusement banal, en est le thème et il est traité avec un suspens digne des grands thrillers ou films d’horreur. La peur est à l’origine du film qui trouve son acmé dans une scène finale mémorable.
Admirable Thomas Gioria dans le rôle de Julien, le jeune garçon. Enjeu du conflit qui oppose ses parents, il joue avec une intensité émotionnelle rare et rend sensible la situation de ces enfants ballottés entre des parents qui se font la guerre. L’ambiguïté perverse repose sur l’idée que c’est pour son bien qu’il doive voir ses deux parents, ayant besoin d’un père pour se construire. Seulement, ici, le père est décrit comme très violent et instable psychologiquement parlant. Il ne l’est pas en apparence avec son regard doux, mais la crise menace et les nerfs du spectateur sont soumis à dure épreuve.
Le film s’ouvre sur une séquence quasi documentaire avec argumentation des avocats et du juge qui tranche. La mère qui demande la garde exclusive de leurs enfants, n’aura pas gain de cause. Leur fille de 18 ans n’est plus concernée mais leur fils devra accepter de voir son père, l’Autre comme il l’appelle, un week-end sur deux. Des stratégies se mettent en place pour éviter que le père ne déboule de façon intempestive, à vouloir toujours tout contrôler et à vouloir négocier avec la mère les modalités de garde pour n’importe quel prétexte pourvu qu’il puisse l’approcher. La famille emménage dans un appartement dont l’adresse devra rester secrète. Mais pour combien de temps ? L’enfant sera soumis au chantage du père qui menace de s’en prendre à son ex-femme. Pour protéger sa mère, l’enfant va mentir avant d’être pris au piège. Très habilement, le film ménage un suspens très efficace, glaçant.
Jusqu’à la garde, au titre riche d’implications sémantiques, est un film extrêmement documenté. Xavier Legrand a consulté un juge aux affaires familiales, des avocats, policiers etc. et même des groupes de parole d’hommes violents. Le drame veut que les enfants soient les premières victimes de la folie des adultes. En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Par petites touches, le film dessine en creux ce que la vie de cette famille a pu être, avant la séparation, avec un père omniscient, suspicieux, jaloux et imprévisible. Intéressant aussi est l’esquisse de ce qu’a pu être sa propre enfance, malheureuse et meurtrie sans doute. Car il est difficile de détester cet ours manipulateur qui s’effondre en larmes dans les bras de son ex-femme. Denis Ménochet est impressionnant dans l’expression de sa fragilité tapie sous la carapace d’un ogre, face à Léa Drucker, parfaite dans le rôle de la mère aux nerfs à fleur de peau, terrorisée par la menace qui pèse sur elle et ses enfants.
Film sur la situation banale d’un couple qui se déchire la garde de l’enfant, il traite également du secret, de ce qui se passe dans la sphère privée, à l’abri des regards, ou bien sous l’œil indifférent des proches qui n’osent pas s’immiscer. Ici, le salut vient de l’intervention de la voisine et un plan final en appelle à notre responsabilité, nous interpelle, nous, spectateurs qui devons rester éveillés et agir contre les drames qui se jouent derrière les portes closes.