Quatre actrices pour incarner un seul et même personnage décontenancera plus d’un spectateur. C’est le pari risqué de Arnaud des Pallières pour qui nous ne sommes pas la même personne aux différents âges de notre vie. La femme d’une trentaine d’années n’est plus celle qu’elle était adolescente. Pourquoi ne pas faire jouer différentes actrices, de même que cela se fait au théâtre ? Ce pari est plutôt réussi et fait tout l’intérêt de ce film.
De plus, elles ne portent pas le même prénom ! Arnaud des Pallières croit à l’intelligence du spectateur, à sa capacité à faire lui-même son film et à y prendre plaisir : « Je fais des films en kit. C’est le spectateur, avec sa sensibilité propre, qui remplit les trous et construit le film. Orpheline est une sorte de portrait cubiste. Offrant je l’espère, autant de points de vue possibles que de spectateurs.
Construit de l’âge adulte vers l’enfance qui abrite le secret de la jeune femme et le comment du pourquoi de ce qu’elle est, le film évolue sur quatre histoires. Le spectateur qui voudra se prendre au jeu fera la suture mentale entre ces différentes périodes de la vie de Kiki, Karine, Sandra et Renée et la magie veut qu’il verra une ressemblance physique et de jeu entre Adèle Hænel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot et même Vega Cuzytek, la petite fille aux airs de sauvageonne avec un regard d’une extraordinaire intensité. C’est aussi dans des univers très différents que le film nous promène avec cette petite fille comme échappée d’un roman de Faulkner, dans des paysages qui rappelle le bayou du Sud-américain profond. Plus tard, Lev, son amant, sera incarné par Robert Hunger-Bühler, avec sa gueule cassée, son côté âpre et viril comme l’étaient les acteurs dans les films des années 70 auxquels on pense dans cette partie qui se déroule dans le monde des courses hippiques, avec ses paris et ses magouilles.
Difficile de sortir indemne d’un trauma inscrit dans l’enfance et qui forge une personnalité – la culpabilité, la quête d’une figure paternelle dont on voudrait retrouver le regard bienveillant posé sur soi. Mais la jeune femme est maladroite et la sexualité semble être le seul moyen qu’elle ait à sa disposition pour obtenir la bonté de ces hommes qu’elle rencontre. Même Darius (Jalil Lespert) auprès de qui elle semble avoir trouvé la sérénité, finit par agir à son détriment. La violence de ce rapport entre elle et les hommes qui sont incapables d’être naturellement bons fait de ce film un plaidoyer féministe mais le réduire à cela serait faire injure à Arnaud des Pallières pour qui la complexité des personnages ne peut conduire à les juger, à se placer au-dessus d’eux. Chacun a ses raisons et ses raisons d’agir dans ce film qui, à l’instar de son héroïne, met le spectateur dans un état « d’intranquillité ».