Impressionnante créativité que celle de Joann Sfar, enfant surdoué de la BD et qui est entré dans la cour des réalisateurs de cinéma avec son Gainsbourg (Vie Héroïque), en 2010, pour lequel il obtint le César du Meilleur Premier Film. Nul doute que cette distinction l’ait encouragé à sortir son célèbre chat de ses bulles pour lui donner l’espace du grand écran pour s’ébattre ! Né en 2002 chez Dargaud, le chat a neuf ans et il s’est épanoui cinq albums durant. Ce chat, doué de parole, a désormais une voix, celle de François Morel… et un corps en 3D. À vos lunettes !
Décidément, le dessin animé en France se porte bien avec Sylvain Chaumet, Marjane Satrapi et Michel Ocelot dont le prochain film est annoncé d’ores et déjà en 3D. Cependant, la 3D n’apporte rien au Chat du Rabbin qui fait l’effet de ces images que l’on regardait, enfant, dans les boîtes de diapositives au défilement manuel, avec cette profondeur très lumineuse et ce côté froid des couleurs. Surtout, la 3D peut être intéressante lorsque le spectateur est intégré dans l’espace par des effets de proximité ou de happement. Dans Le chat du rabbin, rien de tel ! Nous avons quelque crainte concernant l’avenir du cinéma pris en otage de cette nouvelle technologie. Reste l’univers de Joann Sfar et de son chat. Les amateurs de ses albums seront un peu déçus car pour les besoins de l’adaptation, le scénario a été réécrit et l’intrigue grappillée dans la BD, lorsqu’elle trouvait son développement dans chaque album. Les autres feront connaissance avec ce chat et avec son maître Rabbin, doté d’une si jolie fille que le chat, fou amoureux d’elle, demande à faire sa Bar-Mitsva. Tel est le début de ce conte merveilleux.
Ayant pour cadre Alger, dans les années 1920, l’univers orientaliste est campé ainsi que l’arrière-plan géopolitique. Le Rabbin, pour garder son poste, doit se soumettre à une dictée en français. Un peintre russe débarque en ayant fui les pogroms et rêve de se rendre dans une Jérusalem imaginaire où vivraient des Juifs noirs. Un ancien soldat du Tsar est appelé à la rescousse. Et le Rabbin accompagné d’un cheik d’une grande sagesse, embarque tout ce petit monde dans une Citroën, en quête de cette Jérusalem rêvée. Cerise sur le gâteau pour les bédéphiles, la petite équipe croise Tintin, dans une parodie de caricature de figure raciste. La rencontre avec un fondamentaliste islamiste, représentant de cet Islam politique né dans les années 30 en Egypte, est également un épisode marquant de ce film où les personnages sont renvoyés dos à dos sur le terrain de la bêtise. Le Rabbin lui-même commet l’erreur de lire son manuel Citroën au lieu d’observer les gens qu’il croise sur sa route.
Joann Sfar est allé à la rencontre des jeunes, dans les milieux scolaires, pour leur parler de son chat et il a été frappé par l’incompréhension, le manque d’ouverture de ces élèves qui croient que tout arabe est un Palestinien et tout Juif un pro-Israélien. Le conflit au Moyen-Orient a sapé toute relation entre Juifs et Musulmans. Il fut un temps, cependant, où leur cohabitation était harmonieuse. Joann Sfar le sait qui a la double origine séfarade et ashkénaze et dont les grands-parents ont vécu à Alger. Lui-même a grandi à Nice, dans les années 70, et ce malentendu n’existait pas alors entre Juifs et Musulmans. Aussi, fort de ce constat malheureux, Joann Sfar montre, dans Le chat du rabbin une famille arabe et une famille juive qui se ressemblent beaucoup, au point que le Rabbin et le cheik se nomment tous deux Sfar. L’humour veut que la fille du Rabbin soit « jouée » et interprétée par la pulpeuse et craquante Hafsia Herzi (révélation de La Graine et le Mulet). Car les acteurs étaient pressentis avant la création du dessin animé. Avec un casting de rêve, Le chat du rabbin fait dialoguer Maurice Bénichou, Fellag, Mathieu Amalric… Pour son sujet, pour son graphisme et pour ce monde revisité des années 20 qui renvoie au nôtre, Le chat du rabbin est un dessin animé qui devrait ravir grands et adolescents.