Le public du Festival Augenblick 2021 ne s’y est pas trompé en primant ce premier film de Daniel Brühl qui offre une partition à la lisière de la tragi-comédie. Révélé dans Good by Lenin puis Inglorious Basterds de Tarantino, la star du cinéma allemand a aussi participé au film plus confidentiel de Julie Delpy, 2 Days in Paris, et à l’univers Marvel de Captain America. L’amoureux de son art qui ne connaît ni les frontières géographiques ni celles des genres au cinéma a nourri de son expérience son personnage plein d’autodérision qu’il joue dans Next Door qu’il a réalisé et dont il a signé le scénario avec Daniel Kehlmann.
Il y a dix ans, Daniel Brühl a eu l’idée de ce film quand il vivait à Barcelone. Il était dans un bar à tapas quand un homme baraqué l’a dévisagé avec un air à la Sergio Leone puis lui a adressé la parole. L’idée est née que cet homme était un ouvrier qui l’observait dans son appartement, comme dans Fenêtre sur cour de Hitchcock. Puis Daniel Brühl est venu vivre à Berlin où nombre de quartiers connaissent la gentrification depuis la chute du mur, avec notamment des petits restaurants qui ne payent pas de mine, vestiges d’une Allemagne de l’Est condamnés à disparaître, avec des Berlinois déçus par les promesses non tenues des politiciens.
C’est dans un de ces restaurants que Daniel, un acteur riche et célèbre, va patienter, en attendant le chauffeur de taxi qui le conduira à l’aéroport pour aller à Londres où un casting décidera s’il aura le prochain rôle qu’il espère, dans un Marvel. Mais un homme l’a suivi, son voisin dont il fait la connaissance et dont il ne sait rien, tandis que Bruno, cet homme mystérieux, sait absolument tout de lui et de sa famille. L’attente de Daniel va virer au cauchemar.
Pour son personnage, Daniel Brühl avait d’abord pensé à un architecte ou un homme politique mais c’est le métier d’acteur dont il savait le mieux parler. Tant mieux pour nous, spectateur qui a vu les films auxquels il est fait référence. Amusantes aussi sont ses postures de comédien connu et reconnu, voulant à la fois être discret et vexé quand un couple lui demande de prendre une photo alors que c’est d’eux seuls qu’il s’agit. Et quand Bruno lui propose de lui faire répéter ses dialogues pour le casting, Daniel est déconcerté face à cet homme qui lui donne la réplique tout en le jugeant. Bruno a connu les méthodes de la Stasi dont il a été lui-même victime alors qu’il espionne à son tour Daniel et son entourage. Aujourd’hui, les outils technologiques permettent de tout savoir sur les autres et en même temps, tout le monde est avide de tout savoir sur son voisin. Cependant, que sait Daniel de ses proches et que sait-il de lui-même ? Entre les deux personnages, la tension est palpable avec des rebondissements inattendus. Dans le huis clos du restaurant comme dans un saloon de Western, les deux hommes se toisent, s’invectivent. La raison de l’acharnement de Bruno contre Daniel est terrible et dérisoire, le symptôme de deux mondes qui cohabitent et s’ignorent. Peter Kurth confère à Bruno une force de présence impressionnante. Daniel Brühl le voulait absolument pour le rôle. 24 heures après avoir reçu le scénario, Peter Kurth l’a appelé pour dire « oui » et il lui a dit de le rejoindre dans son bar, à l’Est. Ce qu’a fait Daniel Brühl : « J’y étais ! J’étais dans mon film ! » Et l’alchimie entre eux a opéré.