C’est le grand retour de Dominik Moll depuis le mémorable Harry un ami qui vous veut du bien. Non pas qu’il n’ait plus réalisé de films depuis, mais aucun d’aussi marquant. De rebondissement en coups de théâtre, le scénario est inventif et sans cesse inattendu, porté par un casting réjouissant.
Seules les bêtes et son titre énigmatique que le film ne résout pas est d’abord un roman de Colin Niel. Chose rare, le romancier aime le film. La fausse question de la trahison ne se pose pas. Dominik Moll et Gilles Marchand, son coscénariste, ont fait leur l’univers du romancier et proposent un film tout à fait étonnant.
Comme le roman procède sur des chapitres consacrés à un personnage en particulier, épousant son point de vue, le film se construit autour de la résolution de l’énigme inaugurale, à travers le regard de différents protagonistes qui y sont liés. Le pitch est simple. Une femme disparaît une nuit de tempête de neige sur le plateau du Causse Méjean. Comment et pourquoi se demandera-t-on ? A-t-elle été assassinée ? Très vite, l’histoire policière est détournée. Toutes les pistes se dérobent, le film de genre joue avec ses codes pour les balayer d’un plan, d’une autre séquence consacrée à un nouveau personnage.
Le film commence avec Alice, une assistante sociale qui aide les éleveurs de cette région isolée. Elle est elle-même mariée à un éleveur, Michel. Serait-ce un film de plus sur la question de la difficulté à vivre du monde paysan ? Une femme dira à Alice que si elle aime son mari, elle ne risque rien, contrairement à cette femme qui a disparu. Or, on voit qu’Alice éprouve une attirance sexuelle irrésistible pour le sombre Joseph, un éleveur orphelin d’une mère avec laquelle il n’a jamais coupé le cordon, du haut de sa trentaine d’années, cette maman qui écoutait « Tu t’en vas » d’Alain Barrière. Quand cette chanson se fait entendre à un moment précis du film, celui-ci ouvre alors sur un champ des possibles des plus improbables. À partir de cette chanson, le spectateur peut s’attendre à tout. Sa zone de confort est particulièrement ébranlée et il ira de jubilation en jubilation à mesure que le film progresse jusqu’à se poursuivre à Abidjan avec un garçon du nom… d’Amandine.
Point de thriller, point de film sociologique sur les éleveurs, point de dénonciation d’Internet auquel Michel est particulièrement addict. Film fantastique ? Il est question de sacrifice humain, de sorts et de chamanisme. Film politique ? L’argent est le nerf de la guerre dans cette drôle d’histoire, mais quelle est sa réelle valeur ? Le chaman dira : « l’Amour c’est donner ce que l’on n’a pas ! » Film d’amour(s) alors ? Chacun rêve sa vie amoureuse. C’est fondamentalement le moteur de cette incroyable enquête sur la disparition d’Evelyne Ducat. Seules les bêtes est un film qui étonne de bout en bout par sa structure qui entretient mystère et suspens. Quand on croit approcher la vérité, elle s’éloigne tandis que tous les personnages se trompent. Dominik Moll parle de comédie noire et l’ironie est là, dans ce regard porté sur ses personnages mais qui sont tous traités avec beaucoup de bienveillance. Que ne pardonnerait-on pas à ceux qui croient en leurs rêves et au pouvoir de l’imagination ? Sans eux, pas de fiction, pas de romanesque ni de fantaisie, pas de film.