Quai d’Orsay est d’abord une bande dessinée d’Abel Lanzac et Christophe Blain (éditions Dargaud). Bertrand Tavernier l’a lue d’une traite, en une nuit. Au matin, il demanda à en acheter les droits d’adaptation, séduit par ce mélange entre une force comique et une vérité dans les personnages, les situations et les dialogues. Ce parfait équilibre se retrouve dans son film auquel Christophe Blain a participé, ainsi qu’Antonin Baudry qui avait inspiré le personnage principal de la BD, jeune universitaire embauché au ministère des Affaires étrangères et préposé à écrire les discours du ministre.
Alexandre Taillard de Worms est grand, magnifique, un homme plein de panache qui plaît aux femmes et est accessoirement ministre des Affaires Etrangères du pays des Lumières : la France. Sa crinière argentée posée sur son corps d’athlète légèrement halé est partout, de la tribune des Nations-Unies à New York jusqu’à la poudrière de l’Oubanga. Toute ressemblance avec un personnage existant n’est pas fortuite… Il était une fois, en 2003, un ministre des Affaires étrangères qui, en pleine crise irakienne, fit un discours au Conseil de Sécurité des Nations Unies, un discours qui marqua l’histoire de la France. Le film de Bertrand Tavernier, contrairement à la BD, est orienté tout entier vers ce discours de Dominique de Villepin, en un crescendo dramatique. S’il y en a d’autres, ce discours final est le point d’orgue et un aboutissement du suspens qui tend le film sur un rythme sans relâche. Le spectateur en sort groggy, car c’est peu dire qu’au Quai d’Orsay, point de répit n’est possible, jamais ! On y vibrionne, tourbillonne, se cogne dans les couloirs, se heurte aux meubles, et les feuilles tombent, volent, s’envolent. Annonçant l’entrée du ministre dans un bureau ou bien lorsqu’il en sort, une tornade fait valser les dossiers sur les bureaux. Il règne une frénésie de travail et c’est ce qui a séduit Bertrand Tavernier comme moteur de son film, à l’instar de L627 ou bien Ça commence aujourd’hui – ces films qui travaillaient habilement ensemble le matériau de la fiction et une dimension documentaire. En ce sens, les conseils d’Antonin Baudry furent précieux, lui qui travailla au Quai d’Orsay comme conseiller en « charge du langage ». En son temps, il était encore possible de fumer dans les bureaux. Les téléphones portables n’existaient pas « le ministre nous appelait sans cesse, à toute heure du jour et de la nuit. Aujourd’hui, ses appels seraient doublés par une dizaine de sms et, grâce à l’internet mobile, par une avalanche d’e-mails. »
On pensera aussi aux coulisses d’un théâtre avec l’effervescence qui y règne. On apprend que les vêtements eux-mêmes ont leur importance, la couleur de la cravate et celle du costume, sans oublier les chaussures dont le bout carré est très mal vu. Les textes des discours, comme une pièce de théâtre, s’écrivent, se raturent, se réécrivent etc. Pour ajouter au comique de situation, des citations d’Héraclite ponctuent le film par des intertitres ; Héraclite dont le ministre a fait son livre de chevet. Plus sérieusement, avec le recul de ce que l’on sait des événements qui ont agité le monde, Quai d’Orsay est intéressant et dévoile les arcanes de la politique. Comme Antonin Baudry l’a expliqué à Tavernier : « Il fallait non seulement écrire les réponses du ministre à l’Assemblée Nationale, mais aussi les questions des députés ! » Les réunions, également, sont inspirées de scènes vécues, ainsi qu’un déjeuner avec le Prix Nobel de littérature (incarnée de manière décalée par Jane Birkin, irrésistible). Le ministre monologue sans discontinuer, avant que Maupas (excellent Niels Arestrup) lui fasse passer un petit billet demandant de laisser enfin parler l’auteur. Ponctué de scènes cocasses, Quai d’Orsay est une comédie brillante, servie par un Thierry Lhermitte au mieux de sa forme dans le rôle de ce ministre qui veut que, finalement, alors que son discours fut le plus important pour la France, depuis ces trente derrières années, il dise à ses conseillers : « On a beau se casser le cul, on ne sera même pas dans les livres d’histoire. Ou alors sur une petite note de bas de page. » !