Il s’est fait connaître avec son premier court métrage, Fidèle, en 1999. Sélectionné au Prix Junior du Meilleur Scénario, Le Chignon d’Olga, en 2002, a révélé un auteur d’une grande sensibilité que Les Yeux clairs ont confirmé. Ce film a obtenu en 2005 le prix Jean Vigo. Avec J’attends quelqu’un, le cinéaste a gagné en assurance et fait appel à des comédiens comme Jean-Pierre Darroussin et Eric Caravaca. Ce fut aussi la rencontre déterminante d’Emmanuelle Devos à qui il a confié le rôle principal de son nouveau film Le Temps de l’aventure où elle joue une partition amoureuse sur le fil avec Gabriel Byrne.
Qui n’a pas déjà croisé un regard durant un voyage, celui d’un(e) voisin(e) de wagon et échangé deux mots en ressentant le troublant sentiment que la relation pourrait se poursuivre avec cet inconnu(e) ? C’est le sujet du film de Jérôme Bonnel et cette histoire qui pourrait laisser craindre le pire est un bijou de cinéma dont les ressorts des péripéties sont tricotés de main de maître par le cinéaste avec deux comédiens magnifiques. Comment rendre sensible le sentiment amoureux qui s’empare des personnages ? Dans Paris, les personnages se perdent, se croisent, se retrouvent et la géographie urbaine est la carte du tendre des deux personnages qui traversent métros, gares, rues grouillantes de monde tandis que la fête de la musique bat son plein dans la ville, donnant à la fin du film un côté Orpheo Negro.
D’emblée, le film est placé sous le signe du jeu. Alix est comédienne de théâtre. Elle participe à une audition et Emmanuelle Devos joue sa partition en une mise en abyme impressionnante de la femme à la limite de la dépression et qui est dans l’impossibilité de communiquer avec son compagnon, alors que la batterie de son portable est déchargée et qu’elle est interdite de retrait bancaire. Comme le dit Jérôme Bonnel : « cela m’amusait de me demander ce que deviennent, en 2013, les perspectives d’une journée où un personnage se voit à la fois privé de téléphone mobile et de carte bancaire. Quelle part d’obstacles cela suppose-t-il ? Et surtout quelle part de liberté ? [ … ] Par ailleurs, je trouve qu’il n’y a rien de plus cinématographique qu’une cabine téléphonique. »
De fait, Alix doit se produire sur scène le soir-même et reprendre un train gare du Nord. Le Temps de l’aventure se déroule sur une journée, le temps de suivre la jeune femme, mue par une force irrésistible qui la pousse à rejoindre cet inconnu voyageur qu’elle a croisé le matin-même, dans le train de Calais pour Paris. Le fait qu’Alix soit comédienne donne une dynamique particulière à cette rencontre dans laquelle elle s’engage comme dans un rôle, parlant en anglais avec cet homme qui est venu d’Angleterre à Paris pour un enterrement. L’audace est au rendez-vous et les comédiens, par des regards, des expressions parviennent à faire passer l’émotion, et « les ressorts du trouble de l’âme et du corps », selon l’expression d’Emmanuelle Devos, parlant de son rôle.
Le film progresse autour de moments de grâce amoureuse et d’humour servi par cette comédienne qui a réellement un potentiel comique voire burlesque. La séquence des obsèques est un moment d’une drôlerie irrésistible. Le Temps de l’aventure progresse entre gravité et comédie sur des ressorts de scénario surprenants comme une séquence d’Alix avec sa sœur où le personnage est révélé dans sa complexité et ses failles. Avec légèreté et violence, le personnage d’Alix se dévoile, fragile, un pied dans l’enfance dont elle a peur de sortir. Elle est à un moment charnière de sa vie et cette journée est pour elle une sorte de combat qu’elle livre entre pulsion et lucidité. Face à Gabriel Byrne et sur le même diapason, elle est une amoureuse sur le fil, déployant une nuance de jeu sur une riche palette d’émotions. Le Temps de l’aventure, temps de liberté, donne envie de tomber amoureux.