Le Prénom, mis en scène par Bernard Murat, au Théâtre Edouard VII, a été joué pendant près d’un an et connut un tel succès qu’il eut été dommage de ne pas le porter à l’écran pour renouveler l’aventure autrement et faire découvrir à un plus large public la saveur de ce texte. Les comédiens sont les mêmes, hormis Charles Berling qui remplace Jean-Michel Dupuis. Patrick Bruel, Valérie Benguigui, Judith Elzein et Guillaume de Tonquédec nous convient à des joutes verbales jubilatoires et leur plaisir de jouer transpire de bout en bout.
Dans un décor bobo intello gaucho, un dîner réunit un frère et une sœur, l’ami d’enfance de toujours, et les conjoints. Ils se connaissent depuis trente ans et semblent ne pas avoir de secret les uns pour les autres. Mais se connaissent-ils si bien ? De rebondissements en révélations, le vernis de l’amitié craquelle et le dîner plan-plan se transforme en règlements de comptes tous azimuts. On pensera à Un Air de famille et plus récemment à Carnage de Roman Polanski. Car, de la même manière, Le Prénom respecte le principe du huis-clos et du temps réel, hormis deux scènes qui ouvrent sur l’imaginaire. Grâce à cette unité du temps et de l’espace, le rythme des dialogues est tiré au cordeau, dosant très exactement les surprises, le suspens et les pauses : « Notre parti-pris a été de conserver le cœur du récit, la musique du texte, mais en insistant énormément sur le rythme et le naturel du jeu des acteurs. Il fallait faire comme si ces dialogues très écrits tombaient directement de leur conscience. »
On rit beaucoup de ces personnages qui jouent avec les clichés. Patrick Bruel dans le personnage de Vincent, est évidemment le beauf de droite, charmant, beau parleur, à qui tout réussit et qui réussit tout ce qu’il entreprend. Charles Berling, Pierre, est enseignant à la Sorbonne, ils ne porte que des vestes en velours côtelé, il est abonné à Télérama sans avoir la télé et pour le bon prof de littérature qu’il est, aucun mot n’est anodin. Pour lui, tout fait sens, à commencer par les prénoms qui ne sont jamais anodins. Il est vrai que celui que Vincent veut donner à son enfant dont il va être bientôt le père a de quoi être sujet à discussion. Impossible de le révéler ici pour ne pas gâcher la surprise du spectateur ! C’est l’étincelle qui met le feu à ce dîner bien tranquille ; griefs, rancœurs, reproches vont s’échanger comme dans un match, pour notre plus grand plaisir. La femme de Pierre, Elisabeth, incarnée avec une belle énergie par Valérie Benguigui est prof de français dans un collège et le masque de sa bonhomie finira par tomber. Claude, excellent Guillaume de Tonquédec, est trombone à Radio-France et il est du signe si doux et pacifique de la Balance. Pourtant, son sourire ineffable va finir aussi par se crisper, mis à mal et pris à parti par ses amis d’enfance ; ses révélations vont être la cerise sur le gâteau. Personne n’en sort indemne, pas même Anna, la belle blonde hitchcockienne. Et chacun joue sa partition à merveille.
Le Prénom fait bien la démonstration que l’on ne peut pas rire de tout, même en bonne compagnie, et qu’il ne faut jamais se fier aux apparences. Comédie vraiment réussie qui ne faiblit jamais, au dialogue intelligent, spirituel, qui fait mouche et qui est servi par de grands comédiens, Le Prénom est un film réjouissant qui met de très bonne humeur.