Critiques de livres

Le livre L’Éternel
© Albin Michel
L’Éternel
un roman de Joann Sfar (aux éditions Albin Michel)

C’est le premier roman de ce touche à tout surdoué, auteur de BD, de scénarii et réalisateur de Gainsbourg for ever, ainsi que du Chat du Rabbin qu’il a adapté, d’après ses albums éponymes. Joann Sfar est issu de la double culture séfarade et ashkénaze. Précisément, il a perdu sa mère lorsqu’il était enfant et sa grand-mère maternelle lui a souvent raconté des histoires de sa famille venue d’Europe de l’Est. Sans doute a-t-il puisé la source de son inspiration prolixe dans cet héritage. Ses nombreuses lectures également, notamment de Gogol et d’Isaac Bashevis Singer ont nourri L’Éternel, roman de vampires fuyant les pogroms dans une Europe malade.

Parler du passé pour évoquer le présent est l’ambition de Joann Sfar, inquiet par l’antisémitisme et la violence qui rongent l’Europe aujourd’hui, questionner nos pulsions, notre culpabilité à l’aulne de notre éducation judéo-chrétienne sous couvert de cette nature de vampire que Ionas devient à l’issue d’une bataille sanglante, sur le front russe, en pleine guerre de 14-18. L’avantage d’être un vampire est de voler et de traverser les siècles. Joann Sfar revisite le thème et lui redonne le mordant qu’il avait perdu dans la récente série des Twilight. Le vampire de Sfar est un frère de Nosferatu. « Il a l’air du Cri de Munch, d’une araignée d’Odile Redon ». Cependant, il a un charme qui n’échappera pas à Rebecca Streisand, une psychanalyste new-yorkaise qu’il est venu consulter. Car il culpabilise de devoir s’abreuver de sang pour survivre et il se demande pourquoi il est devenu un vampire. Pas étonnant qu’il soit aussi fait référence à Woody Allen ! Joann Sfar mêle habilement un humour désopilant à des passages d’une grande cruauté et d’une violence surprenante. Le début du roman fait froid dans le dos par ses descriptions des combats et de la violence des moujiks contre la population juive. Mais Sfar malmène aussi la religion dans ce qu’elle a d’extrême en jouant les iconoclastes. Avec un art affûté, Joann Sfar fait la preuve de son sens de la littérature, du rythme de la langue, des dialogues et L’Éternel capte l’attention et l’intérêt du lecteur par son côté très visuel. On ne s’étonnera pas qu’un projet d’adaptation pour la télé soit déjà en cours.

Le livre L’Éternel
Joann Sfar — photo © Denis Felix

Particulièrement attachant, Ionas le vampire a des préoccupations qui le rattache à jamais au genre humain. C’est cette part d’humanité préservée, malgré tout, dans le cœur du vampire que son personnage est devenu, que défend Joann Sfar, en un formidable élan d’optimisme. Et Ionas vole dans le ciel étoilé au-dessus d’Odessa comme s’il incarnait des tableaux de Chagall, sa bien aimée dans ses bras, la faisant danser au son de son violon. On sent l’amour que Joann Sfar éprouve pour la culture d’Europe centrale. Plus loin, dans le livre, il fait surgir une mandragore sensuelle et craquante dans la vie de son héros, ainsi qu’un arbre à pendus qui parle. Nous promenant dans son univers plein de fantaisies, L’Éternel surprend et emporte.

Plus sérieusement, il ouvre sur une dimension universelle lorsqu’il parle de violence et de nature humaine. Ionas le vampire, a une passion, l’écriture ; en quête de réponses sur son passé, il s’imagine avoir péri, et s’être transformé en vampire, sur tous les fronts de guerre de la planète… Or, il s’imagine partout où il n’a pas été et ce pourrait être une réalité possible cependant ; la violence n’ayant pas de frontières. Dans cette incapacité à achever son livre réside la différence des rapports que Sfar, l’écrivain, entretient avec son vampire. Comme il nous l’a dit dans un entretien : « Lorsqu’on a l’éternité devant soi, on n’est pas motivé pour écrire alors que moi, mortel, et sous la pression de mon éditeur, j’ai bien dû achever mon roman dans les temps ! »

Et pour notre plaisir !

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