Critiques de films

Image du film Lingui, les liens sacrés
© Pili Films Mathieu Giombini
Lingui
Les liens sacrés
Un film de Mahamat Saleh-Haroun

La plupart de ses films ont été primés, comme Bye-Bye Africa, Daratt, Saison sèche ou encore Grisgris. En 2010, il a reçu le Prix Robert Bresson à la Mostra de Venise pour l’ensemble de son œuvre. Réalisateur mais aussi romancier avec Djibril ou les ombres portées, paru aux Éditions Gallimard en mars 2017, Mahamat Saleh-Haroun a aussi été ministre du développement touristique, de la culture et de l’artisanat du Tchad pendant un an (2017-2018), instaurant dans son pays novembre comme mois du livre et de la lecture.

Le hasard du calendrier des sorties cinéma affiche deux films sur l’avortement, Lingui et L’Évènement de Audrey Diwan. Les deux sont remarquables et glaçants car toujours ou encore d’actualité dans certains pays. L’un, adapté du roman d’Annie Ernaux, se passe en France, en 1963, à une époque où l’on était passible de prison en étant complice d’une interruption de grossesse et l’autre, Lingui, se passe au Tchad aujourd’hui. La différence est criante. Dans le film de Audrey Diwan, Anne est désespérément seule dans son malheur, abandonnée de ses amies et ne trouvant aucune aide possible voire envisageable auprès de sa mère. Mahamat Saleh-Haroun montre des femmes absolument liées contre leur sort et contre un pouvoir patriarcal omniscient qui s’exerce par les traditions, le pouvoir politique et par la religion.

Dans la banlieue de N’Djamena, Amina élève seule sa fille de 15 ans, Maria, avec pour seul revenu, le produit de la vente de braseros (kanoun) qu’elle confectionne à partir des cercles de fer qu’elle extirpe des pneus de camions, un travail de forçat à la mesure de sa force de courage et de détermination. Elle a été bannie quand elle est tombée enceinte hors mariage. Désormais, c’est au tour de sa fille d’être enceinte, Maria, qui a été violée. Amina, mère courage, va devoir trouver de l’argent pour que sa fille avorte, un parcours de combattante car le danger est partout, sans compter la pression qu’exerce sur elle l’Imam du quartier. Et quand Maria est prise en charge dans une clinique clandestine, elle doit fuir quand des militaires font irruption.

Comme dans ses films précédents, Mahamat Saleh-Haroun privilégie la simplicité et l’émotion, l’art de l’ellipse, les silences : « J’aime les films qui font confiance au spectateur et qui lui donnent la possibilité de construire le récit ensemble avec le réalisateur. Je préfère ce cinéma à un certain cinéma dominant qui nous assigne un rôle de spectateur passif, nous obligeant à subir le film en nous déversant tout sur la tête. » Quelques plans révèlent l’autre facette de la famille d’Amina, le milieu aisé d’où elle vient avant d’en avoir été chassée. Elle veut inscrire sa fille dans une autre trajectoire que la sienne en même temps qu’elle se sauve elle-même, se révèle à elle-même. Les femmes sont montrées comme des héroïnes du quotidien. Le réalisateur est admiratif de ces guerrières qui élèvent seules des enfants comme l’a fait sa propre grand-mère à qui il rend hommage ici à travers ce portrait de femmes. La fin leur donne confiance. Jamais montrées comme victimes mais solidaires entre elles, complices contre la tradition, elles sont unies dans la révolution silencieuse qu’elles mènent au nom de leur liberté.

Retour à l’accueil
— Qui suis-je ?
— Questions réponses
— Biographie, mode d’emploi
— Un biographe à votre écoute
(les bienfaits de l'autobiographie)
— Écrivain public ?
— Autres prestations
— Extraits (autorisés)
— Ce qu’ils en ont dit
— Publications d’Elsa Nagel
et revue de presse
— Mes coups de cœur
— Critiques de livres
— Critiques de films
Adresses et liens