Critiques de films

Image du film Freda
Néhémie Bastien © Nour Films
Freda
Un film de Gessica Généus

Très populaire à Haïti, Gessica Généus, met son talent au service de son pays où elle est restée vivre quand ceux qui le peuvent choisissent la fuite. Comédienne, chanteuse, elle a créé sa propre société de production et réalisé une série de portraits de grandes figures contemporaines de la société haïtienne ainsi que Douvan jou ka leve (Le jour se lèvera) (2017), lauréat de nombreux prix et projeté dans le monde entier. Freda raconte par le biais de la fiction, et en langue créole, le destin de femmes qui se battent pour leur survie, chacune à sa manière.

Jeannette tient une toute petite épicerie à Port-au-Prince, dans un quartier populaire où les dommages causés par le séisme de 2007 sont encore visibles. Elle a trois enfants, Moïse, Esther et Freda. Moïse n’a qu’un rêve, émigrer au Chili. Sa sœur Esther, la belle Esther, fréquente tout homme qui peut lui donner de l’argent, le pasteur puis un homme d’affaires, incarnation du pouvoir corrompu qui règne à Haïti. Peu importe pour Esther, il la demande en mariage et elle l’épouse. Dure sera la désillusion ! Quant à Freda, double de Gessica Généus, elle assiste à l’état de déliquescence du monde où elle a grandi et où un avenir meilleur est difficile à imaginer. Le film a été projeté dans un quartier cossu de Port-au-Prince avec un appel de fonds pour aider la population démunie, une projection chargée d’émotion. Le film a été tourné en 2019 et n’aurait pu l’être sans la protection des habitants des quartiers où la réalisatrice a posé sa caméra et qu’elle connaît bien pour y avoir elle-même grandi.

Avec un regard proche du documentaire, mêlant des images d’archives de manifestants descendus dans la rue, en 2017, pour réclamer de meilleurs salaires et une baisse des taxes, le film a été tourné à hauteur d’hommes, de femmes plutôt, avec une restriction du champ à l’image de l’espace étroit dans lequel évoluent les personnages et qui renvoient à la réalité du pays. Une chambre porte les stigmates de la violence qui s’est jouée avec un mur en parpaings mal ajustés, l’échoppe de Jeannette est si petite que l’on y tient debout avec peine et elle donne sur la rue où les femmes sortent leur chaise en plastique pour s’y asseoir et faire salon. « Nous ne vivons pas à l’intérieur de nos maisons d’abord parce qu’il y fait trop chaud et qu’il n’y a pas l’espace suffisant. Du coup nous vivons dehors. C’est notre culture. C’est pour cela que la caméra est souvent de l’autre côté de la rue quand nous filmons la maison de Jeannette. Parce que dans notre pays, il y a toujours quelqu’un d’assis en face de chez vous et qui vous regarde. On observe les voisins, nous sommes un peu intrusifs, il n’existe pas de réelle intimité… » Même l’océan est filmé de très loin, comme une échappée inatteignable. Et les paroles de la chanson d’Aznavour que fredonne Freda résonnent pleines d’ironie : « II me semble que la misère serait moins pénible au soleil. »

Mère courage, femmes sacrifiées dans une société où l’homme règne en potentiel prince charmant tout puissant et qui use des femmes comme d’objets de plaisir, particulièrement celles à la peau claire. Elles sont les plus convoitées et abusent de crèmes blanchissantes comme le fait Esther. Gessica Généus porte un regard sans concession sur la société haïtienne patriarcale et il est glaçant, cependant que les artistes souffrent de leur condition. Esther comme Freda ont un petit ami artiste, l’un est chanteur et l’autre artiste plasticien. L’un n’est pas assez riche pour trouver grâce aux yeux de la belle et l’autre est obligé de quitter Haïti pour faire sa vie. Il emmènerait bien Freda mais elle est obligée de s’occuper de sa mère, et elle fait des ménages en plus de suivre des cours à la fac. Le film décrit une société en souffrance mais ses personnages ne sont pas traités avec misérabilisme, au contraire, ils sont dignes et forts de l’envie de vaincre la fatalité, envers et contre tout. Freda porte le nom d’une déesse de la mythologie vaudou, une des raisons pour lesquelles les spectateurs haïtiens craignent de voir le film. Pour notre part, laissons-nous envoûter !

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