Critiques de films

Image du film Une histoire d’amour et de désir
Sami Outalbali et Zbeida Belhajamor
© Pyramide Distribution
Une histoire d’amour et de désir
un film de Leyla Bouzid

Le titre du film en arabe est « Majnoun Farah », « Le fou (amoureux) de Farah ». Il s’agit de la référence au Fou de Leïla, une histoire d’amour populaire née au Ve siècle en Irak et largement transmise puis diffusée en langue perse dans le monde oriental musulman au XIIe siècle. Cette histoire a influencé musicien et poètes – comme Aragon avec son Fou d’Elsa. L’idéal de l’amour porté à son incandescence interroge les deux amoureux de ce film qui confirme le talent de Leyla Bouzid après son premier long métrage À peine j’ouvre les yeux, sorti en 2015.

L’amour est histoire de regard et dès qu’il voit Farah dans le hall de la fac, le destin d’Ahmed (Sali Outalbali) est scellé. Une histoire de voix également, et la reconnaissance sans la connaître de la langue arabe qu’il ignore, lui, le Français d’origine algérienne. Ahmed est de la banlieue parisienne et il s’est inscrit en Littérature à la Sorbonne. Elle est fraîchement débarquée de Tunis, elle est spontanée, vive et prête à dévorer la vie quand il est timide et ne se sent pas légitime de poursuivre des études à l’université. Ils ont choisi tous deux un cours sur la littérature arabe, précisément celle du Xe - XIIe siècle, riche en poèmes qui chantent l’amour tandis que les jeunes gens sont irrésistiblement attirés l’un par l’autre. Mais Ahmed lutte contre son désir et tente d’y résister.

Ce film de Leyla Bouzid traite d’un malentendu qui veut que les jeunes des banlieues d’origine maghrébine s’interdisent des relations amoureuses accomplies au prétexte de la religion et de la morale, méconnaissant leur histoire et la richesse de leur civilisation comme les textes soufis par exemple qui chantent le vin, les plaisirs de l’existence dont font partie la sensualité voire la sexualité. Selon Leyla Bouzid : « Il existe de nombreux traités d’érotologie arabes qui abordent la sexualité, de manière très directe et crue, avec une grande liberté de ton. Il faut savoir qu’à une époque, ces livres circulaient beaucoup. Ce sont même les imams qui les prêtaient pour l’apprentissage des choses de l’amour… Aujourd’hui, on a une vision beaucoup plus réductrice de la culture arabe. Tout le monde connaît Les 1001 nuits mais dans les esprits, il reste une sorte de livre isolé sur un monde arabe fantasmé. » Le trouble est visible dans le regard d’Ahmed quand dans une librairie, Farah ouvre un livre qui fait la liste de tous les termes possibles désignant le sexe masculin. Elle les lit sans être gênée le moins du monde et l’on mesure la liberté de la jeune fille par rapport à Ahmed. Les femmes sont fortes chez Leyla Bouzid et sans fards, comme dans son premier long métrage. Le film s’ouvre sur le corps d’Ahmed qui prend une douche, l’eau en perles sur sa peau. Au regard de la réalisatrice va se substituer celui de Farah, amoureuse, et qui va éveiller Ahmed à l’amour : « Le regard masculin sur le corps féminin, c’est l’histoire de l’Art en entier. Mais le regard féminin posé sur le corps masculin manque. Avec ce film, j’avais envie d’en proposer un et qu’il soit un hymne au désir physique, un appel à aimer. »

Cette histoire d’amour et de désir réfréné que nous raconte Leyla Bouzid est aussi l’histoire d’une quête d’identité d’un garçon des banlieues né en France de parents qui ont fui l’Algérie au temps de la guerre civile, avec un père journaliste qui n’a plus eu le droit en France que d’être un chômeur longue durée et qui a préféré ne pas apprendre l’arabe à ses enfants, enfermé dans une dépression. C’est la mère d’Ahmed qui a dû porter toute la famille à bout de bras. Ahmed qui vit dans la banlieue ne connaît pas Paris et une séquence édifiante dit que l’on peut être « rebeu » sans avoir d’opinion sur le couscous. Farah qui vient de Tunisie est plus émancipée qu’Ahmed qui a grandi au sein d’un cercle fermé de copains aux idées arrêtées sur le monde et sur la place qu’ils croient ne pas pouvoir avoir dans la société. « Par votre attitude vous donnez raison à ceux qui souhaitent votre échec » dit sa professeur de littérature à Ahmed qui renonce un temps à ses études. Porté par la grâce de ses deux comédiens, dont Zbeida Belhajamor pour la première fois à l’écran, ce film devrait pousser les jeunes issus de l’immigration à poser des questions à leur famille sur leur passé, leurs origines, à comprendre d’où ils viennent et en être fiers. Les plus curieux, qui voudront poursuivre cette réflexion, liront le nouveau livre de Fouad Laraoui, Plaidoyer pour les Arabes. Vers un récit universel (Mialet Barrault, 2021) sur l’apport des penseurs arabes à l’histoire de la pensée universelle.

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