Critiques de films

Affiche du film Petra
Photo Bárbara Lennie — © Rolf Konow
Petra
un film de Jaime Rosales

Après des études de cinéma à la Havane puis à Sydney, ce natif de Barcelone a créé sa propre société de production en 2000, lui permettant de développer ses projets comme réalisateur. Aucun de ses films n’est passé inaperçu et tous ont concouru dans des festivals prestigieux comme celui de Cannes où il a obtenu le Prix Fipresci de la critique internationale en 2003 (Las horas del dia) et en 2008 (Un tir dans la tête) et le Prix du Jury œcuménique en 2014 pour La Belle Jeunesse, dans la sélection Un Certain Regard. Avec Petra, il confirme un engagement artistique exigeant.

Film étonnant, Petra est structuré en chapitres et décontenance le spectateur car il n’épouse pas la chronologie des événements. Il l’oblige à être attentif, à opérer une reconstitution et tisser des liens, tel un puzzle mental. Jaime Rosales a pensé à Don Quichotte avec des titres de chapitres annonciateurs et explicatifs. C’est aussi vers la Tragédie que tend ce film. Dans la séquence inaugurale, un chant liturgique porté par un chœur se fait entendre sur l’écran noir. Le film se poursuit avec l’arrivée de Petra dans une belle maison de vieilles pierres, à la campagne. Suit une conversation sur les prénoms anciens entre la jeune femme et la domestique qui l’accueille. Ce dispositif fonctionne de manière à inscrire le film dans des temps immémoriaux. Il se déroulera pour une grande partie dans l’espace de la sierra espagnole, désertique, sèche, aride ou bien dans des intérieurs où la modernité n’a pas sa place ; espaces dénudés traités comme des tableaux circonscrits dans l’embrasure des portes et des couloirs. Petra qui traverse ces espaces est considérée comme un sujet sous l’œil du réalisateur, comme elle le serait sous l’œil d’un peintre. Le drame se noue avec des personnages qui semblent échappés d’une tragédie antique sous le regard des Dieux de l’Olympe. Cependant, si le mélodrame est poussé à son paroxysme, les personnages sont filmés de manière anti dramatique, de manière naturaliste et sans affects. Il serait dommage de déflorer l’intrigue de ce film qui joue sur la surprise, l’inattendu, le suspens et qui par ses nœuds de l’intrigue pourrait faire penser à du Almodovar en moins baroque. Référence d’autant plus évidente par la présence de l’immense Marisa Peredes dans un rôle secondaire mais cependant déterminant.

Petra vient passer quelques jours en résidence d’artiste chez un peintre de renom, Jaume Navarro, auprès duquel elle voudrait expérimenter son art et se confronter à sa critique. Jaume est un artiste contemporain très coté, mais il est doté d’une personnalité abjecte et d’une grande cruauté, notamment avec les femmes, mais les hommes et son fils en particulier sont eux aussi malmenés, peut-être parce que chacun a une place assignée qui ne devrait pas être la sienne. Qui est qui dans le jeu de massacre auquel nous assistons ? Et quel savoir détient Jaume sur ceux qui l’entourent et sur Petra dont la raison pour laquelle elle veut travailler auprès du « maître » n’est pas avouée ? La question de l’identité et des faux-semblants est au cœur de ce film qui progresse sur des mensonges qui s’accumulent jusqu’à ce que la vérité éclate. Pour Jaime Rosales, elle est préférable au mensonge car elle conduit au pardon et à la rédemption. Grâce aux titres de chapitres qui permettent d’en savoir plus que les personnages, il se crée une attente et un suspens à rebours qui procure au spectateur un plaisir jubilatoire tout intellectuel et personnel. Pari réussi pour le réalisateur qui voulait, citant Aristote, que tout dans son film soit « surprenant et nécessaire » : « Tout a été pensé pour que le spectateur entre dans le film. Pour qu’il s’installe à l’intérieur et voyage avec lui. Un voyage vers l’intériorité. Intériorité des personnages et intériorité du spectateur lui-même ».

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