Critiques de films

Rentrée cinématographique 2017

Rendez-vous incontournable pour les cinéphiles repus de soleil, Ciné Cool les a accueillis du 22 août au 2 septembre dans les salles obscures, avec une programmation qui n’a pas déçu. La présence à Strasbourg d’Albert Dupontel et de Michel Hazanavicius, pour ne citer qu’eux, a inauguré une saison cinématographique prometteuse de belles rencontres.

Le Redoutable de Michel Hazanavicius
Image du film Le Redoutable
Photo Louis Garrel © Philippe Aubry – Les Compagnons du cinéma

Difficile de passer à côté du Redoutable, avec un Louis Garrel plus vrai que nature en Jean-Luc Godard lui-même à un moment charnière de sa vie et de son cinéma. Ce n’est pas un biopic mais une adaptation du livre d’Anne Wiazemsky (Un an après, paru en 2015 chez Gallimard), l’interprète de La Chinoise et l’épouse de Godard de 1967 à 1970 dont elle dresse un portrait plein d’humour. Mai 68, c’est la remise en cause d’une société, c’est la révolution que Godard va faire sienne, reniant les films qui ont fait sa notoriété et s’engageant dans le collectif cinématographique Dziga Vertov : plus de scénario, plus d’acteurs… et ce sera le début du désamour du public pour le Maître. Le Redoutable montre un Godard grognon, égocentrique, machiste, humain tout simplement et seul contre tous, à l’instar des personnages d’OSS 117 et de The Artist. Michel Hazanavicius joue avec les références formelles et propose un film pop, drôle et pétillant, qui installe JLG dans son époque.

Le Sens de la fête d’Eric Toledano et Olivier Nakache
Image du film Le Sens de la fête
Photo Alban Ivanov, Eye Haidara, Gilles Lellouche,
Jean-Paul Rouve, Jean-Pierre Bacri
© Thibault Grabherr / Quad - Ten Films -
Gaumont - TF1 Films Production

Avec leur sens du tempo et des situations comiques, Eric Toledano et Olivier Nakache font une rentrée remarquée et méritée. Les réalisateurs d’Intouchables sont venus bien accompagnés à Strasbourg avec l’inénarrable Hélène Vincent, Benjamin Lavernhe et leur acteur fétiche de leurs débuts, Jean-Paul Rouve. Sachez désormais que si l’on vous sert des feuilletés très salés à une fête, c’est qu’il y a un très gros problème en cuisine ! Jean-Pierre Bacri est l’organisateur d’un mariage qui va de catastrophe en catastrophe. Il est comme toujours parfait. On rit aux déboires et quiproquos de ce quinqua malmené par le correcteur orthographique qui lui change ses textos. Comme le dit Jean-Paul Rouve en interview, « le type qui a inventé cette application est un obsédé sexuel ! » Ce film choral est une réussite, porté par une réalisation virtuose dans la gestion du nombre de comédiens et figurants présents dans un même espace. Pour les deux réalisateurs, la référence est Claude Sautet. Ils n’ont rien à envier au maître et ils ont l’humour en plus. Les duos Bacri – Vincent Macaigne sont hilarants – les faire jouer ensemble dans un film est une très bonne idée. Et imaginer un mariage juif dont le dress code est « cow-boys et indiens », avec un rabbin coiffé d’une parure apache, il fallait l’oser ! C’est un moment parmi d’autres dans cette comédie qui met en joie.

Au-revoir là-haut d’Albert Dupontel
Image du film Au-revoir là-haut
Photo Albert Dupontel
© Gaumont Distribution

Albert Dupontel signe une adaptation fidèle et lisse du livre éponyme de Pierre Lemaître, prix Goncourt 2013. Dupontel a eu le coup de foudre à la lecture du roman qui se passe au lendemain de la 1re Guerre Mondiale, y voyant, dans le contenu et l’intention, un pamphlet sur la période actuelle, avec son cynisme et l’abus de pouvoir dont usent les puissants. Le romancier a participé à l’écriture du scénario. Cependant, l’une des séquences les plus réussies, une soirée au Lutécia, est une invention de Dupontel où l’on reconnaît son esprit réfractaire aux institutions. Lui-même joue le rôle d’Albert, un survivant moins malheureux qu’Édouard de cette guerre qui vit nombre de gueules cassées résignées toute leur vie à voir dans leur miroir le spectre de leur mort. Édouard ne se résigne pas. L’artiste qu’il est va se créer des masques. Le film fait la part belle à une esthétique qui puise dans les courants artistiques de l’époque avec des références à Cocteau ou Picasso, sans compter la lumière qui réfère aux autochromes des frères Lumière. Une poésie émane de ce film. Elle doit aussi à la présence de ce jeune comédien découvert dans 120 battements par minute. Nahuel Perez Biscayart fait exister son personnage d’Édouard par son seul regard, sa gestuelle aérienne. Il est très émouvant et la scène finale avec Niels Arestrup dans le rôle de son père donne alors la hauteur au film que le roman n’a pas à ce moment-là. C’est toute l’humanité du réalisateur et de l’homme Dupontel qui se confirme alors.

La belle et la meute de Kaouther Ben Hania
Image du film La belle et la meute de Kaouther Ben Hania
Photo Mariam Al Ferjani © Jour2fête

D’après Coupable d’avoir été violée de Meriem Ben Mohamed, ce film reprend un fait divers qui a défrayé la chronique en Tunisie, au lendemain de la révolution du printemps arabe. Ce scandale voulait que l’institution policière, garante de l’ordre de la société en construction, se soit rendue coupable d’un viol. Tout devait être fait pour taire l’affaire et que la police ne soit pas discréditée. Finalement, les deux policiers coupables du viol de la jeune Mariam ont écopé 15 ans de prison ferme après deux ans de procès. La belle et la meute est construit sur 9 plans séquences, du soir au petit matin. Belle sobriété et intéressante démarche de confronter le personnage en temps réel à un engrenage infernal, kafkaïen, face à des hommes qui lui affichent mépris et indifférence. La situation absurde veut que Myriam aille à l’hôpital pour faire constater le viol mais elle n’est pas prise en charge par le médecin qui veut un certificat de la police elle-même. Lorsqu’elle reconnaît ses bourreaux au commissariat où elle veut porter plainte, elle ne peut compter que sur elle-même. C’est aussi du côté du thriller et du film d’horreur que se situe ce cauchemar éveillé. Kaouther Ben Hania qui vient du documentaire fait une entrée réussie dans la fiction.

L’Atelier de Laurent Cantet
Image du film L’Atelier de Laurent Cantet
L'Atelier : Photo Marina Foïs, Matthieu Lucci © Jérôme Prébois

La Ciotat est une ville qui vivait de son chantier naval jusqu’à la fin des années 80. Le chantier a fermé. Désormais, le chantier s’est reconverti dans la réparation de yachts, La Ciotat est devenu une station balnéaire et avec elle est morte la culture ouvrière de la ville. Les « vieux » l’ont encore en mémoire et dans leur chair et ils ont la fierté d’avoir construit des pétroliers énormes dans leurs ateliers. Et les jeunes de La Ciotat ? Quelle est leur place dans cette société ? Vers quel avenir tendent-ils ? C’est le questionnement qui est sous-jacent à l’atelier d’écriture d’un polar, animé par un écrivain de renom incarné par Marina Foïs. Très vite, Antoine, l’un des ados, se démarque par ses propos et par une violence sourde. L’écrivaine va s’intéresser à lui. Elle écrit un roman et achoppe sur l’un de ses personnages. Antoine devient une source précieuse de renseignements sur les préoccupations des jeunes d’aujourd’hui. Elle visite son compte facebook et constate son attraction pour l’extrême droite. Une relation ambiguë va se tisser entre elle et le jeune garçon (Mathieu Lucci, impressionnant par l’intensité de son jeu). Laurent Cantet nourrit son film d’images aux sources variées, jeux vidéo, clip de l’armée française, écrans skype et films amateurs sur la grande période du chantier naval, témoignant du télescopage de ces images qui occupent les jeunes et qui sont omniprésentes. Curieusement, son film trouve un souffle final épique, éminemment cinématographique, dans les calanques sous la lune. On bascule alors dans le genre du film noir et Laurent Cantet dit sa confiance dans le cinéma et ses images plus grandes que toutes pour embarquer le spectateur.

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